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Pourquoi la Turquie héberge-t-elle le terrorisme ?

Al Qaida in Turkey
Des combattants d'Al-Qaïda paradant à Tel Abyad
en Syrie, proche de la frontière turque (janvier 2014)

La Turquie est sans conteste l'allié le plus important des Etats-Unis sur les questions relatives au Proche-Orient - c'est un membre solide de l'Otan, elle représente les intérêts de l'Amérique dans plusieurs zones de conflit et c'est un partenaire majeure de la lutte globale contre le terrorisme. Mais ce pays, qui s'attaque de manière si notoire aux mouvements terroristes violents, a également à plusieurs reprise servi de havre aux terroristes qu'il a assisté à l'intérieur de ses propres frontières.

Les relations présumées de la Turquie avec les leader du Hamas - une organisation considérée comme terroriste - et ses relations avec les financiers d'Al-Qaïda ont tendu les relations entre ce pays et les Etats-Unis et menacent leur coopération future sur les question de sécurité.

Il y a deux grands exemples d'agents extrémistes à qui la Turquie a donné procès et accès aux leaders politiques. Le premier est Saleh al-Arouri, le fondateur de la branche armée du Hamas dans la bande de Gaza, branche connue sous le nom des Brigades Qassam. Il vit en Turquie et est , selon des sources crédibles, impliqué dans les affaires financières et logistiques liées aux opérations militaires dans la région.


Le second exemple est celui de l'homme d'affaires saoudien Yasin al-Qadi qui est, selon le gouvernent américain, un financier d'Al-Qaïda. Un détachement de protection du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, l'a escorté après qu'il soit entré dans le pays sans visa (Erdogan avait précédemment affirmé "Je crois en lui comme je crois en moi"). Il aurait peut-être rencontré le fils Erdogan en janvier [N.d.T. : ce dernier actuellement au centre d'un scandale financier avec son père, sur fond d'enrichissement personnel]. Le Département du Trésor l'a désigné comme un "terroriste global particulièrement signalé" depuis 2001.

Ces connexions avec la Turquie et ses dirigeants, y compris Erdogan lui-même, inquiètent certains analystes en politique étrangère.

"Nous avons un problème qu'il est de plus en plus difficile d'ignorer"

"C'est comme si nous avions un type qui sortait des clous, ici" affirme Jonathan Schanzer, le Vice-président pour la Recherche de la Fondation pour la Défense des Démocraties". "C'est un allié important des Etats-Unis. Ils gèrent pour notre compte la politique syrienne. Ils ont géré notre politique pour le Printemps Arabes. Nous avons un problème qu'il est de plus en plus difficile d'ignorer".

Ce qui empire la situation c'est que la Turquie copréside l'effort des Etats-Unis pour combattre l'extrémisme à la racine. Avoir un pays si notoirement investi dans le contre-terrorisme mais qui dans le même temps abrite des agents extrémistes met en péril le coeur même de cet effort, surtout au regard du partenariat avec les Etats-Unis.

Cet effort, connu sous le nom de Forum Mondial du Contre-Terrorisme, avait été annoncé par le Département d'Etat en septembre et rassemblait 29 pays de l'Union européenne [N.d.T. l'UE qui n'en compte que ...28. Mais l'auteur américain de l'article y voit déjà la Turquie, précédant en cela les désirs de la Maison Blanche]. Ce groupe entend combattre les phénomènes de radicalisation en promouvant des projets et organisations locales qui ciblent des personnes à risque dans des pays où l'extrémisme est commun. Il emploie des fonds rassemblés à la fois par des gouvernements et des organisations non gouvernementales à travers le monde, avec l'objectif affiché de lever plus de 200 millions de dollars sur les dix prochaines années. Les promoteurs espèrent du projet qu'il soit totalement opérationnel d'ici le milieu de l'année.

Le Département d'Etat n'entendait pas répondre spécifiquement aux connexions terroristes visant la Turquie mais avait réaffirmé son partenariat de longue date avec ce pays, en citant l'assistance apportée par les Etats-Unis en matière de contre-terrorisme à la police nationale turque.

Ces dernières années, la Turquie est sans aucun doute devenue l'un des alliés les plus stratégiques des Etats-Unis dans la région y servant à la fois d'intermédiaire et d'amortisseur dans un Proche-Orient volatile. Le pays peut cependant être considéré comme jouant un double jeu. Il a bien sûr été un modèle dans le combat contre le radicalisme et il a montré comment l'Islam moderne, le capitalisme et la démocratie peuvent coexister. Et la Turquie a pleinement joué ce rôle.

Le Président Obama a salué le partenariat ente les Etats-Unis et la Turquie en mai dernier lorsque le Premier ministre turc a visité la Maison Blanche. Les deux hommes ont fréquemment évoqué la situation instable en Egypte, en Syrie et ailleurs. Après les attaques du 11 septembre 2001, la Turquie et les Etats-Unis ont coopéré avec efficacité contre le terrorisme.

Mais les relations avec des personnes liées au Hamas ou à Al-Qaïda sont en elle-même un tel problème, affirme Schanzer, que l'on est même en droit de qualifier la Turquie d'Etat sponsor du terrorisme. Actuellement, il n'y a que quatre pays sur cette liste : Cuba, l'Iran, le Soudan et la Syrie. Ces quatre Etats ont fourni un soutien à des actes de terrorisme, à la fois sur leur territoire et à l'étranger [N.d.T. : il s'agit d'une affirmation en grande partie gratuite mais conforme à celle du gouvernement américain]. Par exemple, l'Iran a précédemment envoyé des gens en Argentine pour y faire exploser des synagogues au sein de centres communautaires juifs.

Une telle qualification de la part du gouvernement américain serait assez radicale et il est hautement improbable qu'elle survienne dans la mesure où elle mettre en péril une alliance qui, selon les autorités américaines, a largement assisté les efforts des Etats-Unis dans la région. La Turquie a un rôle critique dans le renversement du régime Assad en Syrie et dans la politique d'endiguement de l'Iran. La désigner comme terroriste - un qualification qui n'a pas été attribuée par ailleurs depuis 1993, impliquerait des sanctions et une politique d'isolement.

Cependant, ceci ne signifie pas que les autorités américaines n'aient pas fait part de leurs préoccupations à ce sujet à leurs homologues turques. Elles l'auraient même fait "au plus haut niveau" selon James Jeffrey qui fut ambassadeur en Turquie de 2008 à 2010.

Durant son mandat, les Etats-Unis ont à plusieurs reprises demandé à la Turquie d'arrêter des personnes liées à Al-Qaïda et qui circulaient librement sur son territoire. Et lors de ces nombreuses occasions, les Turcs n'ont pas agi suffisamment rapidement et n'ont pas satisfait cette demande. 

"Ceci cause des problèmes avec les Etats-Unis" a déclaré Jeffrey qui occupe actuellement un poste de professeur invité au Washington Institute for Near East Policy. "Nous avons à traiter ce genre d'affaires en permanence au Proche-orient ... on passe son temps à retourner leur demander". 

Ces incidents ont pu survenir soit en raison d'une complaisance délibérée du gouvernement turc, qui fournit alors des saufs-conduits à ces agents extrémistes, soit souvent juste en raison du système légal permissif [N.d.T : "porous"] du pays. Quand des terroristes passent à travers les mailles du filet, les Etats-Unis contactent la Turquie et lui expriment leur déception au grand dam des Turcs.

Précédemment, le Département du Trésor avait aussi appelé la Turquie a autoriser les transferts de fonds d'Al-Qaïda de son territoire vers la Syrie afin de soutenir l'effort militaire contre le régime Assad. Mais la Turquie pourchasse a également pourchassé Al-Qaïda sur son territoire: en janvier dernier, les forces de l'ordre turques ont assailli les bureaux d'un ONG humanitaire en avançant qu'elle avait des liens avec Al-Qaïda et qu'elle faisait transiter des armes vers la Syrie. 

"La Turquie, de manière générale, fermera les yeux sur des groupes terroristes si elle apprécie leurs objectifs politiques" 

Le Hamas constitue également un sujet délicat entre les deux pays. Erdogan maintient crânement qu'il souhaiterait visiter la bande de Gaza en dépit des objections réitérées de l'administration Obama. Lorsqu'il Erdogan s'est rendu aux Etats-Unis, le Département d'Etat lui a répété qu'il considérait le Hamas comme une "organisation terroriste étrangère".

La Turquie cependant soutient politiquement le Hamas en tant qu'organisation légitime et démocratiquement élue qui, selon elle, est amenée à libérer la Palestine. La Turquie reconnaît Israël avec lequel elle maintient des relations diplomatiques en dépit de tensions politiques majeures. Les Etats-Unis soulignent que les dirigeants du Hamas se rendent librement dans divers pays à travers le monde. La Turquie se trouve justement à être l'un d'eux.

Pour résumer, alors que les Etats-Unis comme Israël conçoivent le Hamas comme un groupe terroriste à combattre, "la Turquie , de manière générale, fermera les yeux sur des groupes terroristes si elle apprécie leurs objectifs politiques" selon Jeffrey. 

Ce n'est pas comme si la Turquie ne s'occupait pas du terrorisme à l'intérieur de ses propres frontières. Au contraire, just avant la visite d'Erdogan à Washington, le bombardement de deux véhicules y ont tués des dizaines de civils [NdT: il s'agit de l'attaque de Robotski/Uludere, où des F16 turcs ont anéanti "prétendument" par erreur un groupe de contrebandiers kurdes entrant en Turquie par l'Irak]. Et depuis des décennies, les militants du PKK mènent des attaques contre les Turcs au nom de la minorité kurde du pays.

Cependant, pour un partenariat aussi critique que celui entre les Etats-Unis et la Turquie, les connexions ennuyeuses avec le Hamas et al-Qaïda continuent d'être un point de tension. Le terrorisme fait partie de la mosaïque du Proche-orient et, parfois, il est utilisé comme un outil politique par certains pays. Dans le cas d'espèce qui nous occupe, ce pays, c'est la Turquie.

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