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La culpabilité de la Turquie et la responsabilité de l'Occident

Des "terroristes" kurdes tués "par erreur"
par l'armée de leur pays, la Turquie

Le 28 octobre dernier, les autorités de la République de Turquie ont procédé à une vaste rafle dans les milieux progressistes de ce pays: des centaines de militants pacifiques de la cause kurde et des intellectuels libéraux de toutes tendances ont été arbitrairement arrêtés.

Beaucoup sont toujours maintenus en détention préventive sous couvert d'appartenance à une organisation terroriste. Parmi eux, on compte notamment le professeur Büşra Ersanli, autorité en matière de droit constitutionnel et Ragip Zarakolu, éditeur et membre fondateur de l'Association turque des Droits de l'Homme ainsi que son fils Deniz.

Depuis lors, nous assistons à une grave dérive autoritariste de la part de la Turquie qui l'éloigne chaque jour un peu plus des standards européens: les premières arrestations de septembre et d'octobre se sont révélées n'être que le prélude à une mise en coupe réglée de l'ensemble des forces démocratiques d'un pays où règne désormais la peur. Ce lundi 14 février par exemple, plus de deux cents personnes ont encore été arbitrairement écrouées dans le silence assourdissant de la communauté internationale.

Dans le même temps, à l'Est du pays, les opérations militaires contre les populations civiles kurdes redoublent de violence. Tous ceux qui connaissent un peu ce pays savent par exemple pertinemment que le raid meurtrier de l'aviation turque contre des "contrebandiers" kurdes, le 28 décembre dernier, n'a rien de "l'erreur" pour laquelle le gouvernement a présenté d'hypocrites excuses mais constitue un ballon d'essai visant à tester le niveau de consentement des Occidentaux. L'absence totale de réaction de ces derniers, ajoutée à l'éradication en cours de toute possibilité de contestation interne, nous fait désormais sérieusement craindre la mise en œuvre d'une politique d'extermination généralisée contre les Kurdes selon le même mécanisme que celui, bien rôdé, qui fut mis en œuvre contre les Arméniens en 1915.

A cet égard, nous ne pouvons que rappeler la France et l'ensemble des puissances occidentales à leurs engagements politiques et à leurs devoirs moraux: il existe un fil rouge, un fil sanglant, qui constitue la trame permanente de la politique d'Etat de la Turquie contre toute expression de diversité ou d'altérité. Ce fil lie le génocide de 1915 à l'invasion de Chypre, les pogroms de 1955 contre les Grecs au massacre actuel des Kurdes.

Cette politique d'Etat se doit d'être combattue vigoureusement par tous ceux qui se réclament de la démocratie et de la pensée critique. Sur ce point, croire qu'on peut amener la Turquie à reconnaître le génocide de 1915 en s'abstenant de pénaliser sa négation en France est une illusion aussi dangereuse que celle consistant à croire qu'on peut la conduire à reconnaître les droits sociopolitiques de ses minorités en l'assurant de notre soutien contre le PKK. Qu'ils en soient conscients ou non, les parlementaires français qui ont soumis la loi de pénalisation du négationnisme à une saisine du Conseil constitutionnel se sont indirectement faits les auxiliaires de la politique répressive et meurtrière de la Turquie au Kurdistan.

En conséquence, nous appelons la France et l'ensemble des Etats européens à pénaliser la négation du génocide des Arméniens, à stopper la Turquie dans ses menées militaires contre sa minorité kurde et à exiger la libération immédiate des centaines de prisonniers politiques qui croupissent dans ses geôles, dont Ragip Zarakolu récemment nominé pour le prix Nobel de la Paix. Car consentir aux politiques mortifères d'Ankara, c'est abolir la prétention universaliste de l'Occident et c'est obérer le futur démocratique de la Turquie.

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