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Les Quarante jours du Karabagh


Cela fait maintenant plus de quarante jours que l’Azerbaïdjan a débuté une offensive militaire de grande ampleur à l’encontre de sa voisine, la république autodéterminée d’Artsakh (ex Haut-Karabagh). Une quarantaine, c’est à la fois trop court pour préjuger de l’issue finale du conflit et suffisamment long pour en tirer des enseignements qu’ils soient de nature militaire ou politique.

Militairement tout d’abord, il faut convenir que cette guerre n’a plus grand-chose à voir avec celle de 1991-1994 qui s’était achevée par la déroute des troupes azerbaïdjanaises face aux résistants arméniens d’Artsakh. Même si Bakou disposait déjà d’équipements lourds, ceux-ci répondaient alors aux canons soviétiques de l’époque : prévalence de l’artillerie et de la cavalerie blindée en soutien à une à l’infanterie. En face, des autochtones arméniens initialement équipés au mieux d’armes de chasse puis du matériel progressivement arraché à l’adversaire. Pour faire simple, on pourrait dire que l’armée artsakhiote actuelle ressemble à l’armée azerbaïdjanaise d’alors tandis que celle-ci a cette fois-ci fait un usage massif de technologies avancées fournies par son allié turc mais aussi par Israël. Les drones, qu’il s’agisse de drones d’observation ou de drones d’attaque ont en particulier joué un rôle décisif dans les succès initiaux de l’armée azerbaïdjanaise.


Après les premiers mouvements de troupes par lesquels l’Azerbaïdjan a pris, au Nord-Est de l’Artsakh, le village particulièrement exposé de Talish et peut-être celui de Madaghis, l’offensive de Bakou s’est rapidement orientée vers le Sud dans cette zone de plaine longeant la frontière iranienne où son avantage numérique et technologique a pu jouer à plein. En quelques jours, l’armée azerbaïdjanaise a repris les bourg fantômes de Fizouli, Djibrail, Sanassar (ex Zangelan) et même et Kovsagan (ex Kubatli), tous situés dans la zone-tampon occupée par le Karabagh et qui prévenait l’Azerbaïdjan de menacer trop directement les populations civiles du Karabagh. Elle s’est même emparée dès le début du conflit du bourg d’Hadrout situé en Artsakh même. Fortes de ce succès initial, les troupes d’Aliev ont alors cru pouvoir facilement remonter la vallée du Vorotan et du Hakari vers Berdzor (ex Latchin), objectif militaire de premier plan dont la prise aurait coupé la liaison entre l’Arménie et l’Artsakh. Malgré l’impressionnant arsenal militaire déployé par Bakou, cette offensive dans des « vallées de l’enfer » encaissées en contrebas des positions arméniennes a tourné à la déroute et les Azerbaïdjanais ont dû se replier au prix d’importantes pertes humaines et matérielles.

Bakou a alors entrepris de substituer à cet objectif militaire un objectif politique : s’emparer de Chouchi, la ville symbole à propos de laquelle Aliev a affirmé que le succès ne serait pas complet sans sa prise. Depuis environ une semaine, les troupes azéries remontent donc de leurs positions sud, par la montagne même, avec pour objectif de se saisir de cette forteresse naturelle située sur un piton rocheux protégé au Sud par une falaise vertigineuse. Comme à Berdzor, les combats initiaux ont donc tourné en la défaveur des troupes azerbaïdjanaises qui ont subi de lourde pertes près du village de Karin Dag (littéralement « sous la roche ») tout en s’assurant néanmoins de nouveaux gains territoriaux dans la région. Ayant cependant réalisé la difficulté militaire de l’entreprise, il semblerait que depuis le 7 novembre, l’Azerbaïdjan tente de contourner par l’Est les positions défensives arméniennes, se rapprochant ainsi dangereusement de la capitale Stepanakert, que les autorités ont d’ailleurs fait évacuer au matin du 8 novembre pour des raisons de sécurité. D’après plusieurs observateurs, le président Aliev rêverait de planter le drapeau azerbaïdjanais – le drapeau est un culte en soi en Azerbaïdjan – le 9 novembre, date de la fête du drapeau. Nul ne sait s’il parviendra à réaliser cet objectif plus politique que militaire mais, ne pouvant contenir son impatience, l’homme fort de Bakou a d’ores et déjà annoncé la prise de Chouchi au petit matin du 8 novembre. Une annonce pour le moins hâtive tant la situation semble loin d’être réglée même si les combats semblent se dérouler désormais aux abords immédiats et sur l’ensemble du pourtour de la cité.

En revanche, Ilham Aliev a d’ores et déjà pleinement atteint son troisième objectif, l’objectif criminel. Avec l’exécution de civils artsakhiotes par la troupe azerbaïdjanaise ou par ses supplétifs djihadistes, avec la mutilation des cadavres des adversaires et l’exécution de prisonniers de guerre, avant l’emploi de bombes à sous-munitions et de bombes au phosphore expressément interdites par les conventions internationales, Ilham Aliev vient de signer en lettre de sang son nom dans le registre des grands criminels de guerre. Il y a là deux enseignements : d’une part, cela confirme que le Droit international est une vaste plaisanterie puisque ces exactions ont pu être réalisées très ouvertement sans que cela ne déclenche de réaction d’aucune des grandes chancelleries occidentales théoriquement très sourcilleuses sur la question, du moins quand cela contrarie leurs prosaïques objectifs politiques. D’autre cela jette un démenti cinglant à tous ceux qui prétendaient que les Artsakhiotes pourraient vivre en paix dans au sein de la dictature d’Azerbaïdjan. Les derniers développements montrent si besoin en était que les Artsakhiotes ne peuvent tout simplement pas vivre dans un Etat dont les autorités prônent chaque jour et depuis trente ans l’assassinat pur et simple comme solution à tous les problèmes de leur pays.

Reste que la guerre est loin d’être terminée ; même dans l’éventualité de la chute de Chouchi. Ce qui a radicalement changé, ce que ne semblent avoir compris ni les autorités turco-azéries, ni les chancelleries occidentales, c’est que les Arméniens d’Artsakh n’envisagent apparemment pas une seule seconde de capituler et que, bien au contraire, ils entendent continuer leur combat, même seuls comme ils le sont depuis le début, animés de cet esprit combattif qu’illustre si bien leur actuel slogan « haghtanelou enk », « nous vaincrons ». Il est donc encore bien trop tôt pour préjuger des développements politiques et militaire à venir.

Commentaires

Anonyme a dit…
Le dictateur Erdogan, voulant ressuciter la Turquie ottomane impérialiste et belliqueuse de sinistre mémoire, aide un autre dictateur - Aliev - à terminer le génocide des arméniens du Karabagh que l'armée turque ottomane n'a pas eu le temps d'achever en 1918. Tout ça parce qu'un 3è dictateur - Staline - a placé le Karabagh sous tutelle azérie en 1921 pour plaire à un 4è dictateur - Kemal Ataturk - qui regrettait de n'avoir pu balayer les derniers débris des arméniens.

Les ponce-pilates occidentaux, sensés être l'ultime bastion de la soit-disant civilisation, menacée de toutes part par la montée en puissance des populismes, fanatismes et autres autoritarismes, regardent ailleurs. Agripés à leurs intérêts marchands, pétroliers et géopolitiques comme des drogués déments en phase terminale à leur came, ils prétextent le respect du droit international, quand bien même les frontières figées par celui ci se fondent sur les signatures ou les faits accomplis des pires crapules que cette terre a porté.

L'aboulie des européens dans cette histoire est d'autant plus pathétique que le risque de leur collision avec l'islamo-fascisme turc en pleine expansion grandit de jour en jour, que ce soit en méditerranée ou bien en leur sein propre. Le néo Califührer Erdogan résistera-t-il encore longtemps à la tentation de régler militairement ses revendications en méditerranée ? Si cela implique de rentrer en conflit avec la France, lui qui a si bien collaboré avec daech et recyclé les djihadistes dans ses milices en Syrie et Lybie, résistera-t-il à la tentation de la faire sombrer dans une guerre civile en la désignant aux foules musulmanes fanatiques comme l’ennemi de l’islam, et en oeuvrant souterrainement pour déclencher sur le sol français le cycle infernal de la vendetta hors de contrôle avec des attentats ciblés pour susciter des représailles ?