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La défaite du Karabagh est aussi celle des valeurs démocratiques

 


Evidemment, il est difficile d’analyser à chaud les derniers évènements autour de la guerre du Karabagh, encore plus lorsqu’ils sont encore en cours et que la tragédie qui se développe vous étreint. Disons-le d’abord tout net, c’est une défaite militaire dans les grandes largeurs pour le Karabagh et pour l’Arménie. Ce n’est certes ni la vaillance, ni la détermination qui ont manqué ont Arméniens mais sans doute une incapacité à discerner les évolutions stratégiques lourdes qui les ont privés de tout soutien international, là où l’Azerbaïdjan a pu trouver un appui sans faille en la Turquie et au moins un blanc-seing du côté de Moscou.

Les émeutes actuellement en cours en Arménie – où une nation K.O. debout refuse médusée la défaite – présagent sans doute la fin politique de Pachinian. Le président du Parlement Ararat Mirzoyan a ainsi déjà été molesté par la foule et il semble se remettre dans un hôpital. Au-delà de ce que l’on pense de Pachinian – on peut à juste titre lui reprocher son côté populiste – on pouvait lui reconnaître d’avoir tenté une réelle amélioration de la démocratie de l’Arménie, amélioration qui avait été saluée par une progression du pays dans les classements internationaux. La défaite arménienne sonne donc aussi comme une défaite des valeurs démocratiques. Il est en effet fort probable que l’Arménie retombe dans l’ornière des régimes précédents fortement inféodés à Moscou. Ce que signifie le lâchage en règle de l’Arménie par son « allié » russe, ce que nous avions sans doute largement sous-estimé, c’est la détestation par Vladimir Poutine de tout ce qui ressemble à une tentative d’émancipation, aussi légère soit-elle (car même Pachinian n’avait pas dérogé à l’alliance stratégique russe).

L’Azerbaïdjan est évidemment le vainqueur à court terme de cette guerre. En récupérant l’ensemble des territoires adjacents à au Karabagh, en conservant les gains territoriaux en Artsakh même y compris la ville de Chouchi, en mettant le reste du territoire karabaghiote sous la protection temporaire de casques bleus russes et en assurant même un droit de transit entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan à travers le territoire arménien – hypothèse hier encore improbable – il renforce son prestige politique et sa glorieuse postérité aux yeux d’une opinion publique azerbaïdjanaise chauffée à blanc par des décennies de nationalisme. Il n'est cependant pas sûr que ce triomphe perdurera quand la société azerbaïdjanaise découvrira l'ampleur des pertes militaires qui lui ont été cachées jusqu'à présent.

Plusieurs points restent cependant peu clairs aujourd’hui : le statut de ce qu’il reste de l’Artsakh n’est pas précisé du tout ce qui ne peut être que délibérément voulu par Moscou, histoire de maintenir les tensions régionales. Il semble également – en dépit de cette affaire de droit de transit à travers le Zangezour arménien – que la Turquie ait été maintenue à l’écart de ce « règlement » qui apparaît ainsi comme la mise sous protectorat de l’ensemble de la région par Vladimir Poutine. Autrement dit, derrière la victoire immédiate de l’Azerbaïdjan, c’est celle de la Russie et de son système de valeurs qui se profile, où Moscou reprend sans doute le contrôle de tout le Sud Caucase, Azerbaïdjan compris. Reste à voir comment la Russie gérera au-delà l’influence qu’Ankara va durablement garder sur les cœurs azerbaïdjanais, sinon sur les destinées de Bakou.

Dans ce contexte, par leur cynique aboulie, l’Europe et les Etats-Unis verront sans doute leur influence régionale totalement disparaître à court terme. Les Arméniens d’abord, les Azerbaïdjanais ensuite sont plus que jamais contraints d’obéir aux ordres de Moscou. Pourquoi et comment se préoccuperaient-ils encore des recommandations ou des préoccupations de l’Occident ? Cependant, rien ni personne n’est éternel ce qui n’est pas nécessairement de bon présage. Vladimir Poutine finira par disparaître, Erdogan et Aliev également, et cela sans que l’on sache ce qui leur succédera. La guerre qui vient de s’achever et la solution dessinée par Moscou n’a résolu aucun des problèmes, elle les a tous accrus. Le défi de la construction de la paix apparaît comme plus aiguë et plus formidable que jamais, surtout si l’on souhaite qu’une nouvelle guerre n’éclate pas dans vingt ans.

 

Commentaires

Jacques Olivier LEMERLE a dit…
"Un siècle et cinq ans après le génocide arménien de 2015, le monde entier a détourné la tête.
On nous bassine avec la mémoire, mais la mémoire est un concept vide.
À quoi sert d'avoir reconnu le génocide arménien si c'est pour regarder ailleurs quand ceux qui le nient attaquent les descendants des rescapés qui l'ont subi ?
Honte aux responsables de ces pays !
Qu'aucun de ces responsables, jamais, ne remette les pieds dans une commémoration de ce génocide ! Ils n'y ont pas leur place".
Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a, lui, estimé que l'accord de fin des hostilités au Nagorny Karabakh était une «capitulation» de l'Arménie après six semaines de combats.
«Nous avons forcé (le premier ministre arménien) à signer le document, cela revient à une capitulation, a-t-il déclaré à la télévision. J'avais dit qu'on chasserait (les Arméniens) de nos terres comme des chiens, et nous l'avons fait»...