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Steve Jobs, François Hollande et les Arméniens

C'est un fait méconnu, les Arméniens sont des grands romantiques. Ils se nourrissent d'illusions qui ne coûtent pas cher et qui peuvent éventuellement rapporter gros à ceux qui les dispensent. L'actualité vient nous fournir deux exemples récents de cette tendance déraisonnable à l'idéalisme.

Nous prendrait-on pour des pommes ?
Premier exemple donc, la disparition de Steve Jobs. Nous ne reviendrons pas ici sur les mérites considérables de celui que la presse et l'opinion publique unanimes ont présenté comme l'auteur des inventions les plus révolutionnaires depuis celles de la roue et du feu - plus même que le fil à couper le beurre ou la poudre à péter deux fois. Ceux qui - dans le concert de louanges - prêtèrent attention à l'hagiographie jobienne en cours d'élaboration, purent entendre ou lire que le père de Steve Jobs était syrien et que sa mère adoptive était arménienne. Mieux encore, Steve Jobs - paraît-il - parlait couramment la langue de Raffi et de Tcharents. Il n'en fallait pas plus aux diverses composantes de la presse arménienne - d'Arménie comme de Diaspora -  pour tirer une étrange gloire collective de cette particularité identitaire. A la décharge des Arméniens, précisons tout de suite qu'une vague inquiétude symétrique transpira également dans la presse turque


Steve Jobs, l'illusion bénigne 

De là où il est, il est à peu près certain que les gonflements de poitrine arméniens comme les suées d'angoisse turques laisseront Steve Jobs tout aussi indifférent. Il n'en reste pas moins que ce type de réaction est au moins énigmatique si ce n'est puéril : Steve Jobs s'est-il engagé politiquement pour l'Arménie ou les Arméniens ? A-t-il spécialement oeuvré pour le développement économique de l'Arménie ? A-t-il créé un fond de bienfaisance ou une s'est-il impliqué dans quelque entreprise charitable spécifiquement arménienne ? Pas que l'on sache. Moi qui suis lyonnais d'origine, je ne crois pas que je serais parcouru du moindre frisson de fierté si on me révélait que  telle ou telle personnalité - même agonisante - aurait pour seul mérite d'être née sur la colline de Fourvière, pas plus que je ne serais dépité dans le cas contraire.

Notons d'ailleurs que Steve Jobs n'est ni le premier ni le seul à faire l'objet d'une telle considération ethniquement respectueuse de la part des Arméniens: avant lui Alain Prost, Mike Connors alias Joe Mannix ou Alice Sapritch eurent droit pour les mêmes raisons à de semblables égards. Sans doute est-ce le propre des nations malmenées par l'Histoire de trouver matière à compensation dans les identités de personnes qui ne les ont jamais revendiquées. Notons aussi - mais il faudrait une analyse plus sérieuse que le présent billet d'humeur - que cela pose le problème pour le coup sérieux de la notion d'identité. A l'instar de la question posée par une application Iphone controversée,  qui en est ? Celui que la rumeur ou les origines familiales plus ou moins avérées indiquent comme tel ou celui pour qui cette identité procède d'une affirmation, et donc d'une affirmation politique ? Vous me pardonnerez de préférer la seconde réponse à la première qui fleure bon l'essentialisation raciale.

Allez, juste pour en finir avec Steve Jobs, cette vénération arménienne m'est d'autant plus pénible que mon Iphone favori ne me permet même pas de disposer d'un clavier arménien ... mais d'un clavier turc, oui !

Qui veut gagner des promesses  ?
Au moins direz-vous, cet entichement ne coûte pas cher. Deuxième exemple plus grave donc, la passion "hollandaise" des responsables de la branche française du Dachnaktsoutioun, le parti socialiste arménien. Les semaines passées ont en effet été témoins de la surenchère sur la question du négationnisme entre les deux principaux concurrents à la future élection présidentielle: le président sortant Nicolas Sarkozy et son challenger socialiste François Hollande. 

Lors de sa dernière tournée dans le Caucase, le président Sarkozy a réaffirmé à la surprise de tous (et au désespoir de ses conseillers diplomatiques toujours prompts à veiller aux intérêts d'Ankara) que la France devait se doter d'une loi de pénalisation de la négation du Génocide des Arméniens.  Et de donner jusqu'à la fin de l'année - pas plus - à la république négationniste de Turquie pour reconnaître le Génocide sans quoi la France légiférera. Une "menace"que Nicolas Sarkozy a apparemment implicitement réitéré ces jours derniers. Pour beaucoup d'observateurs, il est clair qu'un tel revirement - revirement car c'est bien un Sénat dominé par l'UMP qui a rejeté la loi de pénalisation il y a moins de six mois - est bien sûr dû à l'effritement de la majorité présidentielle à l'approche des élections et au besoin subséquent de ratisser large, y compris parmi les Français d'origine arménienne. 

François Hollande, l'illusion dangereuse

Mais ce revirement est aussi dû au soutien apporté à ce projet de pénalisation par François Hollande. Un soutien qui pour l'instant n'a rien coûté à ce dernier. Mieux même, par la magie des mots, Hollande a pu faire facilement oublier aux dignitaires français du Dachnaktsoutioun qu'une grande partie des sénateurs socialistes emmenés - toute honte bue - par Robert Badinter, se sont également prononcés contre la loi en question. Les leaders français de la Fédération Révolutionnaire Arménienne (F.R.A) souffrent-ils de déficience ou, sont-ils frappés, à l'instar de Jacques Chirac, de la désormais célèbre anosognosie ? Nul ne le sait mais toujours est-il qu'ils n'en ont  pas plus demandé à François Hollande pour engager à leur corps défendant les Français d'origine arménienne dans la campagne électorale de ce dernier. Ainsi, dans son numéro de septembre, le mensuel France-Arménie aux destinées duquel j'ai eu l'honneur de veiller avant qu'il ne repasse sous les fourches caudines de la F.R.A., a non seulement fait sa couv' sur le meeting alfortvillais du leader socialiste mais s'est livré à un véritable panégyrique de ce dernier aux termes duquel on apprenait que  Hollande était "le meilleur candidat pour les Français d'origine arménienne". Un grand réaliste comme Charles Pasqua aurait dit que "les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent" ... et qui y croient ! Dieu merci, tous les Arméniens de France ne sont pas aussi naïfs et, désormais, on en trouve même quelques-uns pour ruer dans les brancards sur l'inféodation du Dachnaktsoutioun, ou tout du moins de la coterie qui prétend le représenter en France.

Certes, on ne saurait reprocher à un parti socialiste de soutenir un candidat socialiste. Le contraire serait même curieux. Mais on peut tenir rigueur à la F.R.A. de ne voir dans le programme du candidat Hollande que ce qui l'arrange. Car François Hollande, à l'instar de l'ensemble du P.S. est favorable à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Bien sûr, il y est favorable à condition que ceci et que cela, et notamment à condition qu'Ankara reconnaisse le Génocide des Arméniens, mais il y est fondamentalement favorable. Or tous ceux qui ont pu voir le Parti Socialiste ou les Verts à l'oeuvre au sein des instances européennes savent parfaitement que ces conditions ne sont que rhétoriques.

Quand les "progressistes" européens soutiennent avec ferveur
l'adhésion d'un Etat raciste  et négationniste

On peut reprocher bien des choses à l'actuel Président de la République: sa personnalisation du pouvoir, sa  proximité avec le milieu des affaires, son omniprésence, sa "peopolisation", son jeu dangereux avec des thèmes de l'extrême-droite, son atlantisme invétéré, etc... Même sur la question turque, les plus "progressistes" d'entre nous pourraient le soupçonner de ne s'opposer à l'adhésion d'Ankara que pour de mauvaises raisons. Il n'empêche que grâce à Nicolas Sarkozy, l'Union européenne - qui a pour l'heure suffisamment de problèmes sans la Turquie - tient bon depuis quatre ans que les "négociations" ne progressent pas.

Bien évidemment, la pénalisation de la négation du Génocide des Arméniens constituerait un progrès important pour ceux qui sont attachés aux valeurs européennes. Ce n'est certainement pas moi qui me suis publiquement engagé en ce sens et qui ai dénoncé les complaisances au négationnisme qui dirai le contraire. Mais dans l'ordre des priorités, vaut-il mieux miser sur un candidat qui nous promet de légiférer en ce sens ou sur un autre qui nous en promet désormais autant et qui neutralise effectivement depuis quatre ans le menace létale que constituerait pour l'Europe l'adhésion de la Turquie ? La réponse est me semble-t-il dans la question.

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