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La lessiveuse azerbaïdjanaise, carburant de la perpétuation du régime Aliev


On reste un peu pantois devant l’avalanche de scandales qui a suivi début septembre la révélation de l’affaire « Laundromat » par l’OCCRP, un cartel international de journalistes. La publication des comptes bancaires par lesquels le régime azerbaïdjanais gratifie généreusement ses affidés a en effet provoqué des remous en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Hongrie, en Bulgarie, en Belgique, en Italie, en Espagne et même jusqu’en Nouvelle-Zélande.

La grande lessiveuse a arrosé tous azimuts : ici c’est un juge de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui est mis en cause, là ce sont des responsables politiques locaux, voire nationaux, ailleurs c’est un haut dirigeant d’une institution internationale à la réputation jusque-là immaculée. Les Institutions européennes qui avaient jusqu’alors adopté une attitude complaisante vis-à-vis du régime Aliev ont cette fois réagi : le 13 septembre, le Parlement européen a adopté un amendement par lequel il demande une « enquête approfondie » en dénonçant vigoureusement « les tentatives de l’Azerbaïdjan et d’autres régimes autocratiques de pays tiers d'influencer les décideurs européens par des moyens illégaux ». Quelques jours avant, la Commission des Affaires Juridiques de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe s’est dite très préoccupée par des rapports faisant état « d’un lien entre le Gouvernement azerbaïdjanais et un système de blanchiment de capitaux à grande échelle, qui a fonctionné dans les années 2012 à 2014 et a notamment servi à influencer l’action de membres de l’Assemblée à l’égard de la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan ». Peu après, prenant prétexte d’une énième violation d’un arrêt de la CEDH, Thorbjorn Jagland, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, a appelé à une « action juridique sans précédent » contre l’Azerbaïdjan.

La Communauté internationale semble donc désormais réaliser qu’en cédant aux pratiques corruptrices de l’Azerbaïdjan – la fameuse « diplomatie du caviar » – elle cautionne non seulement la répression interne qui sévit dans ce pays mais elle détruit aussi chez nous les valeurs démocratiques dont elle prétend par ailleurs favoriser l’essor. Ce qu’elle a moins perçu en revanche, c’est l’autre objectif, plus spécifiquement anti-arménien, de la politique ainsi poursuivie par Bakou.

On a par exemple appris que la Hongrie d’Orban aurait perçu plusieurs millions d’euros pour autoriser l’extradition de Ramil Safarov, un officier azerbaïdjanais qui, à Budapest, avait décapité à la hache un collègue arménien alors que celui-ci dormait. Dès son arrivée à Bakou, le coupeur de tête avait été promu en grade, décoré par le Président Aliev en personne et récompensé par des avantages en nature. L’OCCRP a aussi révélé que des fonds azerbaïdjanais auraient indûment servi à Irina Bokova, Secrétaire Générale de l’Unesco depuis 2009, pour acquérir soit directement soit par le biais de son époux de luxueux appartements dans le centre de New-York. On comprend mieux les dithyrambes régulièrement adressées par madame Bokova au régime Aliev ; On comprend surtout son absence de réaction aux demandes adressées en 2010 à l’Unesco afin que cette agence de l’Onu condamne la destruction de la nécropole médiévale arménienne de Djoulfa opérée en 2005 par le régime de Bakou ; un forfait en tout point similaire à celui des Talibans à l’encontre des Bouddhas de Bamyan ou à ceux de l’Etat islamique à Palmyre.

Le rappel de ces faits parmi tant d’autres souligne combien, dans le cadre du règlement du conflit du Karabagh, il est irréaliste d’exiger des Arméniens de la République d’Artsakh et de leurs représentants élus qu’ils se soumettent à la férule d’un tel régime. Plut au Ciel plutôt, que les Azerbaïdjanais s’en libèrent. Les révélations du scandale Laundromat ajoutent peu à ce tableau si ce n’est que ceux qui portent de telles exigences de soumission envers les Arméniens d’Artsakh ne sont peut-être pas simplement naïfs mais bien corrompus et complices. A cet égard, il faut espérer que les autorités françaises s’inspireront du Parlement européen pour lancer une véritable Commission d’enquête parlementaire dont les pouvoirs d’investigation étendus permettront de jeter sur les pratiques de l’Azerbaïdjan en France une lumière plus crue que celle – pâlotte – de la mission d’information qui s’est achevée en février dernier. Il serait surprenant que la France – devant les tribunaux desquels l’Azerbaïdjan se permet de poursuivre les journalistes de Cash investigation – soit indemne des entreprises de corruption qui ont touché tous les pays environnants.

Il y a quelques jours le régime Aliev s’est cru contraint de lâcher un peu de lest face au tollé international provoqué par le scandale Laundromat. Il a ainsi libéré quelques opposants par trop voyants dont le blogueur russo-israélien Alexandre Lapshin que Bakou avait fait arrêter au Belarus au motif fantaisiste qu’il s’était rendu en Artsakh. Arrivé en Israël après des mois de captivité, la première déclaration de Lapshin fut : « Arméniens, restez forts ! Ces gens [le gouvernement azerbaïdjanais] veulent vous voir tous morts. Si vous perdez l’Artsakh, ils vous massacreront comme les Turcs il y a 100 ans ». Espérons que les révélations du Laundromat amèneront enfin les diplomates européens à réaliser eux-aussi que la répression interne et l’agression externe que conduit le régime d’Azerbaïdjan ne concourent qu’à un seul et même but : sa propre perpétuation.

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