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Mais que se passe-t-il en Azerbaïdjan ?

L'Azerbaïdjan a récemment été le siège de développements passés relativement inaperçus en France et dont l'interprétation reste encore difficile. Rappelons que l'Azerbaïdjan est un pays du Sud Caucase en état de guerre larvée contre son voisin, la République d'Artsakh (ex Haut-Karabagh) – peuplée d'Arméniens – et que Bakou fait régulièrement porter la responsabilité de ce conflit sur l'Arménie, alliée de l'Artsakh.

Le 5 mai donc, des unités de défense artsakhiote positionnées au Sud-Est de la ligne de contact avec l'Azerbaïdjan ont pu observer des échanges de tirs qui – pour une fois – ne les ciblaient pas mais semblaient opposer différents groupes au sein des troupes azerbaïdjanaises leur faisant face. Une heure plus tard, le Ministère azerbaïdjanais de la défense émettait un communiqué sibyllin indiquant qu'avait été éventé un « complot arménien » au Nord-Est de la ligne de contact et promettant des « représailles impitoyables ». Une information qu'ont rapidement démentie les autorités militaires artsakhiotes par un communiqué plutôt goguenard conviant « la partie azerbaïdjanaise – si elle a tant confiance dans la fiabilité de ses allégations – à inviter les organisations internationales à enquêter sur leur véracité ». Il est vrai que l'Artsakh n'a sans doute ni les moyens ni l'envie de se lancer dans une telle entreprise.

Le 7 mai enfin, le bureau du procureur général, le Ministère de la Défense, le Ministère de l'Intérieur et les Services de la sécurité d'Etat de l'Azerbaïdjan – pas moins – ont rendu publique une déclaration conjointe qui affirme qu'avait été déjoué « un complot mené par un groupe de soldats et de civils en liaison avec les services de renseignement arméniens ». Selon ce communiqué, ces personnes auraient mis en danger rien moins que « l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan contre récompense financière ».

Des explications rocambolesques

Il reste difficile de démêler le vrai du faux dans cette affaire, d'autant plus l'Azerbaïdjan est l'un des pays les plus opaques au monde : Après l'expulsion de la plupart des médias étrangers et la fermeture de presque tous les médias d'opposition, on en est réduit comme en Corée du Nord aux supputations. Quelques observations peuvent néanmoins être formulées. D'une part ce type d'affaire est généralement traité par le KGB local seul et non pas par quatre instances officielles conjointes. Une telle déclaration – absolument inhabituelle – semble d'abord et avant tout destinée à faire la démonstration d'une cohésion de tout l'appareil d'Etat derrière le leader absolu, Ilham Aliev. Il s'agit donc au premier chef d'une communication à destination des Azerbaïdjanais eux-mêmes mais qui indique sans doute qu'un niveau appréciable d'émoi s'est emparé de la population.

D'autre part, diverses sources secondaires font état d'une soixantaine d'arrestations liées à cette affaire, y compris des civils et des femmes habituellement peu associées aux affaires dans une région du monde restée très machiste. A moins de prêter aux services de renseignements arméniens des qualités d'infiltrations tout à fait hors normes, il paraît à peu près impossible qu'un tel réseau ait pu être mis en place par l'Arménie ou l'Artsakh, surtout quand on connait l'hystérie anti-arménienne encouragée et financée au plus niveau de l'Etat en Azerbaïdjan. Rappelons que le simple fait de porter un nom arménien interdit à tout un chacun de se rendre en Azerbaïdjan, que les Azerbaïdjanais qui ont voté pour la chanteuse arménienne lors du dernier concours de l'Eurovision ont été inquiétés et qu'un officier azerbaïdjanais, ayant décapité son homologue arménien lors de son sommeil durant un stage conjoint à Budapest, a été décoré et récompensé par le Président Aliev lui-même.

Certains pensent-il printemps en Azerbaïdjan ?

Autrement dit, cette affaire d'espionnage arménienne semble plutôt délirante et l'hypothèse d'une tentative de révolution de palais apparaît bien plus probable. L'Azerbaïdjan est en effet tenu d'une main de fer par le clan Aliev - Pachayeva depuis 1993. C'est à cette époque en effet qu'Heïdar Aliev, un ex dirigeant du KGB puis du Politburo de l'URSS, a pris le pouvoir à la faveur d'un coup d'Etat réalisé dans le contexte de la débâcle militaire subie par son pays lors de la guerre d'indépendance du Haut-Karabagh. Succédant à son père en 2003, Ilham Aliev, l'actuel Président, a instauré un véritable culte national de la personnalité envers celui-ci tout en assurant un certain succès économique à son pays par l'exportation d'hydrocarbures. Il a été servi en cela par l'explosion des cours du brut dont la flambée en 2005 a coïncidé avec son arrivée au pouvoir pour se terminer – peut-être provisoirement – en 2015.

source: tradingeconomics.com

Or c'est peu de dire que l'atterrissage a été violent : avec un baril de bruit passant de 20$ en 2002 à plus de 120$ autour de 2010, l'économie azerbaïdjanaise a été littéralement shootée aux pétrodollars pendant une dizaine d'années avant un sevrage brutal en 2015 où le cours est retombé à moins de 50$. Mais bien peu d'Azerbaïdjanais ont profité de la manne dans un pays régulièrement classé comme très autoritaire et très corrompu par les organisations non gouvernementales. Le clan au pouvoir est accusé par l'Organisation Contre la Corruption et le Crime Organisé (OCCRP) d'être l'un des principaux bénéficiaires du scandale des Panama Papers. Récemment encore, la presse s'est faite l'écho de nouveaux détournements de fonds au bénéfice de hauts dignitaires azerbaïdjanais, via Malte cette fois-ci.

source: tradingeconomics.com
 

Dans un contexte aussi lourd – où après des années de vaches grasses le budget déficitaire de l'Etat apparaît comme une scandaleuse anomalie, il n'est pas impossible qu'une camarilla ait tenté sans succès de renverser un pouvoir qui n'est peut-être plus en mesure de combler les appétits de chacun de ses obligés. L'avenir nous dira peut-être si, en Azerbaïdjan aussi, certains commencent à penser printemps. En attendant, le climat y reste glacial.

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