Accéder au contenu principal

Catastrophe de Soma : L'image qui frappe

La catastrophe de la mine de Soma en Turquie a provoqué un brutal réveil des tensions sociales existant dans ce pays. Le Premier ministre Erdogan - qui rendait hier visite aux blessés sur les lieux de la catastrophe a été vivement pris à partie par les membres des familles des victimes. De nombreux clichés et des vidéos relatant ces événements ont été postés sur les médias sociaux et en particulier sur Twitter. 

L'un d'entre eux a particulièrement marqué les internautes et il fait actuellement le tour de la toile. On y voit Yusuf Yerkel - proche conseiller du Premier Ministre et adjoint de son chef de cabinet, décocher un violent coup de pied à un manifestant maintenu au sol par deux représentants des forces de l'ordre.





Yusuf Yerkel est jeune. Il est bel homme et élégamment vêtu de costumes à la coupe impeccable. Il est moderne et dispose d'un compte Twitter. On pourrait donc croire qu'en un instant de tension extrême, il a "simplement" dérapé.

Pourtant cette image m'a immédiatement rappelé - peut-être sommes-nous plusieurs dans ce cas - un texte datant de presque 120 ans. Ce texte, c'est celui d'une lettre écrite le 10 octobre 1895 par Paul Cambon, ambassadeur de France à Constantinople de 1891 à 1898, puis à Londres jusqu’en 1920. 

Paul Cambon fut un observateur privilégié des massacres d'Arméniens qui se déroulèrent dans la capitale ottomane et dans tout l'empire de 1894 à 1896 (environ 300 000 morts) et qui furent comme un prélude au génocide de 1915.

Dans cette lettre du 10 octobre , Paul Cambon écrit :

"J'admire avec quelle naïve ignorance nos journaux parlent de toutes ces choses. Ils voient la main de certaines Puissances, ils célèbrent les intentions du Sultan, etc. En réalité, il y a là l'éternel conflit entre chrétiens et musulmans. Les deux populations ne se sont nullement amalgamées, depuis la conquête des Turcs. Ceux-ci sont les vainqueurs, ils occupent militairement le pays, ils sont campés en Europe et même en Asie Mineure. Leur administration, leurs prétendues institutions européennes ne sont qu'apparence.

Cette semaine dans les maisons turques où se trouvaient des domestiques arméniens, et il y en a partout, leurs camarades musulmans les ont maltraités ou tués. A l'usine à gaz huit ouvriers arméniens catholiques ont été massacrés par leurs compagnons de travail musulmans. Le jour où la crainte de l'Europe ne retiendrait plus le Turc, la population chrétienne risquerait d'être réduite à l'esclavage. C'est ce que ne soupçonnent pas les utopistes qui croient à la régénération de la Turquie, les touristes qui sont bien reçus par le Sultan et les gogos de Paris ou des capitales européennes qui fraient dans les cercles avec d'aimables secrétaires d'Ambassade ottomans habillés à la dernière mode et abonnés de l'Opéra. Lundi dans la journée ces jolis messieurs du Ministère des Affaires étrangères ont écrasé eux-mêmes à coups de talon un arménien expirant qui après la manifestation avait été jeté dans la cour du Ministère. Imagines-tu nos jeunes gens du Quai d'Orsay piétinant par plaisir un blessé après une émeute ?"


Le fin psychologue qu'était Paul Cambon avait malheureusement vu juste. 

Il existe bien évidemment une autre Turquie, un pays où vivent des gens honnêtes et des humanistes. Mais tant que l'héritage Jeunes-Turcs n'aura pas été extirpé de la mentalité des classes dirigeantes de ce pays, celui-ci restera condamné à la violence politique qui le caractérise jusqu'aujourd'hui. 





Commentaires