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Vers un Caucase apaisé ?

Une mosaïque de peuples
Cet article a été publié par le Huffington Post le 11 octobre 2012

Le résultat des élections législatives qui se sont déroulées le 1er octobre en Géorgie va sans aucun doute impacter la situation régionale bien au-delà des frontières de cette petite république caucasienne. Mais la question est de savoir jusqu’où et comment. Car, si l’on doit souligner la nature relativement démocratique du scrutin qui donne les clés du gouvernement au Rêve géorgien de M. Ivanichvili, les inflexions que celui-ci entend porter à la politique nationale ont certainement fait l’objet de tractations entre les grands acteurs régionaux et internationaux, comme en témoigne peut-être la rencontre entre Anders Rasmussen, le secrétaire général de l’Otan, et Sergueï Lavrov, le Ministre russe des Affaires étrangères, quelques jours avant le vote.


Et sur ce point, il faut sans doute plus s’attendre à un changement de style qu’à des bouleversements radicaux. Si, durant le scrutin, le Mouvement National Uni du président Saakachvili a présenté à l’envie son adversaire comme l’homme de la Russie, il fallait y voir tout au plus une tactique qui visait à décrédibiliser Ivanichvili vis-à-vis de l’électorat géorgien. Or, on notera que le nouveau premier Ministre – un homme ayant effectivement fait fortune en Russie et possédant la nationalité française –  réserve son premier déplacement international pour les Etats-Unis, selon lui le « principal partenaire et ami » de la Géorgie. En outre il été chaudement félicité par l’Otan qui a souligné, par la voix de son secrétaire général, « un moment historique dans l’évolution de la Géorgie vers la démocratie ». A contrario, au moment d’écrire cet article, le Ministère russe des Affaires étrangères n’avait toujours pas commenté le scrutin ce qui témoigne sans doute du malaise persistant de Moscou devant la volonté réitéré d’Ivanichvili de voir son pays rejoindre l’Otan.

Une chose semble sure néanmoins, les outrances du président Saakachvili envers la Russie semblent désormais appartenir au passé. On peut raisonnablement considérer que les électeurs géorgiens ont sanctionné-là la politique agressive qui a abouti à la perte des régions d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud désormais de facto indépendantes et puissamment soutenues par Moscou. Lesdits électeurs pourraient même pousser définitivement l’ancienne coqueluche de l’Occident vers la porte de sortie si d’aventure Rêve géorgien atteignait la majorité constitutionnelle.

Ainsi, si M. Ivanichli parvient à contenir les tendances centrifuges des forces qui l’ont porté au pouvoir, mais s’il parvient également à établir un modus vivendi avec le président actuel pendant qu’il est encore là, on peut espérer que le rétablissement de relations apaisées avec Moscou bénéficie à toute la région. Car la politique nationaliste de Saakachvili constituait également une source régulière de tension avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan voisins en raison du comportement de Tbilissi envers ses minorités. En particulier, la population essentiellement arménienne du Djavakhk (Samskhe-Javakhétie), région géorgienne limitrophe de l’Arménie subissait jusqu’hier une oppression féroce faite d’intimidations politiques, d’arrestations arbitraires – telle celle emblématique de Vahagn Chakhalyan – mais aussi d’une ingénierie ethnique particulièrement délétère consistant en l’installation artificielle de Turcs meskhètes au cœur de la province. A Tbilissi même – qui abritait encore la plus importante population arménienne de la Transcaucasie russe en 1900 –  la transformation d’églises arméniennes en églises géorgiennes sous la férule d’un clergé acquis à la cause nationaliste n’allait pas pour apaiser les tensions.

Au-delà même de la question des minorités et du respect de leurs droits civiques et socioculturels – notamment en matière d’enseignement de leur langue – l’amélioration des relations russo-géorgiennes devrait également inciter la Géorgie à ne plus « punir » Erevan de son alliance avec Moscou en bloquant comme elle le faisait régulièrement le transit énergétique ou manufacturier de et vers l’Arménie. A cet égard on peut espérer que les programmes européens d’intégration régionale, tel Traceca, donnent enfin toute leur mesure en conférant aux ports de Batoum et de Poti un véritable rôle de porte d’entrée pour les trois républiques.

Une telle vision relève cependant encore de l'irénisme: D’une part, il faudrait que les espoirs de démocratisation et d’apaisement placés dans Ivanichvili s’avèrent justifiés, ce qui est loin d’être acquis. Les intimidations électorales alléguées de même que la récente déclaration ambiguë d’Ivanichvili visant ses concitoyens appartenant à la minorité arménienne du pays jettent le doute en la matière. En outre, indépendamment de ses mérites propres et des bénéfices qu'ils porteraient en termes d'intégration régionale, le rapprochement russo-géorgien pourrait contrarier des intérêts énergétiques supposés: supposés car il semble désormais clair que les réserves gazières et pétrolières de l'Azerbaïdjan sont marginales. Si Bakou manipule plus que jamais une rhétorique belliqueuse vis-à-vis de la république du Haut-Karabagh et de l’Arménie, et si les risques de guerre sont effectivement plus élevés que jamais, c'est bien que la manne s'épuise, et avec elle l'intérêt de l'Occident pour un régime par ailleurs peu fréquentable. Quant à l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, son importance est devenue secondaire depuis que Moscou s’est assuré le transit des réserves d'Asie centrale par ses propres tuyaux.

Au regard de ces considérations, il ne serait pas surprenant que la victoire électorale d'Ivanichvi ne fasse que consacrer le retour de la Russie dans une région finalement trop lointaine et trop peu intéressante pour des capacités de projection américaines déclinantes. Dans ce contexte, seuls les fondés de pouvoir régionaux de l'oncle Sam pourraient éventuellement redouter la nouvelle donne géorgienne. Mais Ankara, qui a actuellement d'autres chats à fouetter et qui est, elle aussi, très dépendante du gaz russe, pourrait finalement trouver intérêt à une détente. La Turquie n'a finalement pas forcément intérêt à rester otage de Bakou en pratiquant un blocus inepte de l'Arménie. La question reste de savoir si elle l'a compris. 

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