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Syrie: les fausses évidences de l'AFP

Le découpage de l'Orient ottoman prévu
par les accords secrets Sykes-Picot (1916)
Commentant les développements  affectant la situation en Syrie, un récent communiqué de l'AFP a attiré l'attention sur le sort de la minorité arménienne de ce pays, prise en tenailles entre les forces restées fidèles aux régimes et les rebelles de tous poils.

Le communiqué en question faisant le point sur la politique d'accueil des réfugiés arméniens syriens par la république d'Arménie est intitulé "des milliers d'Arméniens de Syrie se réfugient sur leurs terres ancestrales". On ne saurait dire qui est responsable de ce titre et de la vision qu'il colporte tant le processus de fabrication de l'information est obscur à l'AFP comme dans la plupart des agences de presse. Le fait que le communiqué soit signé par une arménienne d'Arménie - Mariam Harutunyan - ne préjuge en effet absolument pas du fait que l'information ait pu être réécrite à Moscou - siège régional de l'AFP - ou à Paris. 

Car le problème de ce titre, c'est qu'il est factuellement faux et politiquement déplorable sans que l'on sache dire si cela résulte simplement d'un large ignorance historique ou de mauvaises intentions délibérées. Car l'Arménie - j'entends l'actuelle république d'Arménie - n'a jamais été la terre ancestrale des Arméniens de Syrie. Pour la plupart, ces derniers viennent d'un pays qui n'existe plus: l'Arménie occidentale, alors partie intégrante de l'Empire ottoman et détruite en tant que telle par l'Etat turc lors du génocide en 1915. 

Et plus précisément, les racines de beaucoup des Arméniens syriens se situent en Cilicie - dans les régions d'Adana, de Marache (aujourd'hui Karamanmaras), Aïntab (aujourd'hui "Gaziantep"), Kilis, Sis (aujourd'hui "Kozan") - ou dans des territoires historiquement syriens honteusement concédés à la Turquie par la France dans les années 20 et 30 comme Antioche (aujourd'hui "Hatay") et Alexandrette (aujourd'hui "Iskenderun"); Sans parler des familles arméniennes installées à Alep même ou à Damas depuis le Moyen-Age, voire depuis des temps bibliques . 

Que doit-on alors penser de ce communiqué ? On peut imaginer que dans l'esprit jacobin et géométrique de quelque journaliste mal informé, l'évidence voulait que les Arméniens viennent tous d'Arménie comme les les Français de France, les camemberts de Camembert et les bosons de Higgs, de Higgs. On peut alors craindre que ledit journaliste éprouve quelque difficulté à appréhender et surtout à restituer objectivement et fidèlement à l'opinion publique une situation que caractérise une grande complexité historique et politique. Au demeurant, la présentation éminemment manichéenne faite de la situation en Syrie - avec ses "bons" et ses "méchants" porte à sourire tous ceux qui se sont, ne serait-ce qu'un peu, intéressés à la question. 

On notera d'ailleurs une contradiction entre le titre et le corps du communiqué d'une part, et dans les termes même de ce communiqué qui affirme que "selon certaines évaluations, de 60.000 à 100.000 chrétiens originaires d’Arménie sont établis en Syrie. Il s’agit de descendants de ceux qui ont fui les massacres d’Arméniens dans l’empire ottoman au cours de la Première guerre mondiale". Est-ce à dire que, par la première phrase parlant de personnes "originaires d'Arménie", l'AFP reconnaît - conformément à la seconde phrase - que la légitimité historique et politique de ces territoires naguère ottomans est toujours arménienne  ?  Ce serait assurément inédit !

Mais on peut aussi voir dans ce titre manifestement inapproprié une intention politique visant à faire passer ces citoyens syriens - tout aussi respectables que leurs compatriotes arabes ou kurdes - pour des émigrés dont la légitimité de la présence territoriale serait douteuse et contestable. Pourquoi donc dans la mesure où ces Arméniens de Syrie n'ont pas de revendications irrédentistes et ne posent aucun problème en termes de politique internationale ? Bien évidemment, nous ne le savons pas mais on ne peut exclure qu'il s'agisse de se débarrasser par le verbe d'un population-vestige qui témoigne des anciens abandons de la France au Proche-Orient. Car n'oublions pas que la Cilicie et les territoires les plus septentrionaux de la Syrie ne sont devenus turcs que par le renoncement de la France, alors mandataire de la Société des Nations, à défendre ces régions historiquement arménienne et arabe contre les prétentions impérialistes et criminelles des anciens génocidaires turcs, alors récemment convertis en rebelles kémalistes. 

Et les épisodes honteux de cette histoire abondent, qu'il s'agisse de la retraite de Marache, où l'on noua des linges aux  sabots des chevaux de l'armée française fuyant de nuit, pour éviter le réveil et la panique de populations promises au massacre, ou que l'on considère la cession du sandjak syrien d'Alexandrette,  à la veille de la seconde guerre mondiale, à une Turquie qui n'y a aucune légitimité pour monnayer qu'elle ne s'alliât pas à l'Allemagne nazie.

A l'heure où la France et la Turquie repartent en lune de miel sur les oripeaux d'une Syrie dont on se déchire les lambeaux, présenter les Arméniens de Syrie comme des intrus ne peut que combler d'aise Ankara tout en jetant un voile pudique sur le responsabilité de la France dans les processus d’ingénierie ethnique qu'elle cautionna naguère et qui déstabilisent jusqu'aujourd'hui le Proche-Orient.

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