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L’Europe à la croisée des chemins

De nombreux acteurs de l’Union européen ont récemment cru déceler un changement de nature, ou à tout le moins un changement de mode de fonctionnement de l’Union européenne. Des observateurs aussi avertis que Sylvie Goulard, la présidente du Mouvement européen, ou Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes durant la présidence française ont tout deux noté l’ascendant pris par le Conseil européen – en clair les chefs d’Etats des 27 – sur une Commission européenne jugée effacée, lente et inefficace.

Dit dans le jargon européen, l’Union serait ainsi devenue plus intergouvernementale et moins communautaire ; Selon Jean-Pierre Jouyet, elle aurait également troqué son « soft power » contre un classique comportement de puissance plus conforme à son importance réelle sur la scène internationale. Il faut effectivement reconnaître que l’activité – sinon l’activisme – de Nicolas Sarkozy sur la crise géorgienne comme sur la crise financière ont objectivement redoré le blason européen sur la scène internationale tout en réduisant la Commission à un rôle peu gratifiant d’auxiliaire technique, de secrétariat général bis du Conseil.

Si on peut difficilement ne pas souscrire à ce constat, on doit cependant s’interroger sur ses causes, sur la pérennité de ce nouveau paradigme européen et surtout sur les limites de l’exercice. En effet, comme l’admet M. Jouyet, nul changement institutionnel n’est à l’origine de cette évolution qui, somme toute, a été conjoncturellement liée à la personnalité empressée du président de la République.

Plus inquiétantes en revanche sont les conditions de renationalisation – le mot est de Mme Goulard – qui ont ainsi permis à M. Sarkozy de jouer les Monsieur Bons Offices au nom de l’Union. Car il est à craindre que ces circonstances soient dorénavant les mêmes pour des Etats moins bien disposés que la France envers la chose européenne. Passe encore dans le cas d’Etats moyennement influents comme la République Tchèque qui assure actuellement la présidence ; Mais qu’en sera-t-il dès lors que la Suède (juillet 2009) ou que le Danemark (janvier 2012) seront aux commandes ? Qu’en sera-t-il surtout dès lors qu’une présidence peu active laissera le champ libre à la Commission pour appliquer ses mauvaises recettes trop atlantistes et trop libérales au détriment de l’intérêt commun qu’elle est censée représenter ?

Clairement, cette logique qui a déjà causé les rejets successifs de la Constitution européenne puis du Traité de Lisbonne constitue donc un danger mortel pour l’Union, celui du champ clos des rivalités et des ambitions contraires. Tout aussi clairement, c’est cette logique qui empêche depuis des années la mise en place d’une Europe sociale – d’une Europe – rempart, que nos concitoyens européens appellent pourtant régulièrement de leurs vœux.

Il est par ailleurs extrêmement douteux qu’elle ait permis de faire passer l’Europe « de l’influence à la puissance » pour reprendre le propos de M. Jouyet : car une Union divisée et cacophonique peut difficilement se faire entendre avec efficacité. La confusion apportée par l’ingérence du Président français dans le conflit israélo-palestinien durant la présente présidence tchèque – alors même qu’une troïka européenne s’est rendue sur place – en constitue un exemple très actuel.

Au contraire, une Europe divisée et flottante au gré des présidences successives reste pusillanime et velléitaire face aux grandes puissances, voire face aux puissances moyennes. Au final, la « puissance » de l’Europe ne s’applique alors dans toute sa rigueur qu’aux régions du monde n’intéressant que peu les grandes diplomaties nationales, celles des pays les moins avancés où s’exerce alors avec une rigueur implacable les politiques de la Commission. Il n’est que de voir par exemple la façon dont celle-ci a tenté d’imposer les « accords de partenariat économique » aux pays africains ou la manière avec laquelle elle manie avec une indignation sélective les questions de Droits de l’Homme.

Le remède ? Plus de démocratie directe certainement. Tant que l’Europe ne sera perçu que par le prisme des enjeux et des leaders nationaux, il y a peu de chance de voir la situation évoluer dans le bon sens, celui qui verrait l’émergence d’une véritable opinion publique européen et la prise de contrôle directe de cette opinion citoyenne sur la Commission.
Mais plus de démocratie directe – c’est-à-dire plus de pouvoir au Parlement européen – signifie l’adoption de nouveaux mécanismes institutionnels qui ont précisément été rejetés avec le reste de la Constitution européenne. Il est vrai que si cela avait été le résultat escompté, on ne s’y serait pas pris autrement : A mélanger le bon grain de la réforme institutionnelle et l’ivraie de dogmes socioéconomiques, les responsables de l’Union ont pris le risque hélas trop avéré de voir les citoyens de l’Union rejeter les premiers avec les seconds.

Il faudra donc maintenant faire preuve d’imagination – assortie d’une bonne dose de pédagogie – afin de proposer une réforme simple, compréhensible, limitée aux mécanismes institutionnelles et exempte de biais idéologiques afin de réconcilier l’Europe avec ses citoyens. Cela prendra du temps mais il n’est d’autre voie si l’on conserve réellement quelque ambition pour le projet européen.

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