Accéder au contenu principal

Contribution pour une refondation de l'Europe


Il est des coïncidences qui ne s’inventent pas : la veille de la reprise du conflit ossète, le plafond de l’hémicycle du Parlement européen à Strasbourg s’est effondré. A l’image de ses bâtiments, l’Union européenne ne dispose aujourd’hui plus que d’institutions lézardées pour affronter les grands défis qui – si l’on n’y prend garde – risquent plus que jamais de la propulser dans les poubelles de l’Histoire.

Cette contribution résumée entend modestement concourir à l’élaboration de pistes de réflexion qui  pourront être développer dans l’optique des prochaines échéances européennes. Notre objectif en la matière doit être de restaurer et le caractère opérationnel de l’Union, et l’attrait politique – tant domestique qu’international – qu’exerçait encore récemment cette expérience historique radicalement novatrice afin d’assurer in fine un leadership de l’Europe dans les affaires du monde.

Le mal-être européen procède clairement de trois ordres : déficit démocratique, déficit d’identité et déficit stratégique.

  • Déficit démocratique – l’Union européenne a perdu la confiance de ses citoyens qui la perçoivent désormais plus comme une menace que comme une solution, notamment en terme social. Le rejet de la Constitution par la France et les Pays-Bas et le rejet du traité de Lisbonne par l’Irlande sont en vérité des fins de non-recevoir très claires vis-à-vis d’un projet qui entendait donner plus de pouvoir à une Commission européenne essentiellement hors contrôle démocratique ; qui plus est, ce transfert de pouvoir – qui s’opère déjà – se serait accentué en faveur d’une vision socioéconomique anglo-saxonne loin de faire l’unanimité sur le continent.
  • Déficit d’identité – Si le « Grand Elargissement » aux dix Etats d’Europe de l’Est était historiquement nécessaire et inévitable, il a néanmoins conduit à des dissensions sur la finalité du projet européen et sur le positionnement politique de l’Union. Si celle-ci s’aventurait à d’autres élargissements substantiels (ou contre-nature), elle le paierait très certainement de la perte totale du sentiment de communauté d’histoire et de destin, seule base crédible de toute construction politique.
  • Déficit stratégique – Après des réussites remarquables, l’Union semble en panne idéologique : La stratégie de Lisbonne qui visait à faire de l’Union la zone de plus forte croissance mondiale est un échec patent ; Le bilan démographique s’aggrave (sauf en France et en Irlande) au point que l’Europe devra incessamment « importer » plusieurs dizaines de millions de travailleurs immigrés. L’Europe sociale reste essentiellement un vœu pieu ; les arbitrages budgétaires contestés et incohérents. La politique étrangère et de sécurité commune est toujours embryonnaire face à des diplomaties nationales aux perceptions (ou plutôt aux réflexes) souvent divergents et cette situation est aggravée par la dépendance énergétique croissante de l’Union. Il est particulièrement significatif que cette dernière soit de plus en plus souvent absente des considérations de politique générale des Etats-Unis ou même des puissances émergentes (ou renaissantes).
Sept pistes pour une refondation

Il est clair que les défis qui se présentent sont d’un tel ordre que les réponses à y apporter dépassent le cadre de cette seule contribution. Néanmoins, il paraît utile à la cause de la refondation de l’Europe d’envisager (au moins) les sept pistes suivantes qui présentent l’intérêt de répondre de manière couplée aux trois ordres de défis que l’Union a à affronter :

  • Restaurer l’intérêt public pour la chose européenne. Avant d’essuyer de nouveaux échecs référendaires, nous devons faire de la politique européenne un sujet d’intérêt national dans les différents pays européens. On ne peut adhérer à ce qu’on ne comprend pas. Aujourd’hui Bruxelles semble lointaine et obscure alors que les décisions de l’Union impactent le quotidien des citoyens. Des mesures simples peuvent y contribuer : télédiffuser sur les chaînes publiques les débats du Parlement européen et des interviews de parlementaires ; renforcer et systématiser les échanges entre Parlements nationaux et Parlement européen, par exemple en organisant des débats de Parlementaires européens dans le cadre des Parlements nationaux de leur pays, en jumelant occasionnellement les permanences de circonscription avec les permanences européennes, etc.…

  • Lancer le chantier d’une vraie diplomatie européenne ; tant que les diplomaties nationales perdurent, l’Europe politique restera inexistante tant pour les acteurs internationaux qu’aux yeux des citoyens. On connaît le mot de Kissinger « l’Europe, quel numéro de téléphone ? ». Lancer le chantier d’une diplomatie européenne, cela veut dire regrouper les services consulaires voire les ambassades dans les pays tiers où la présences des Etats de l’Union est faible ; cela veut dire mettre au point des modalités de fonctionnement là où elle est forte : on peut par exemple imaginer de confier l’ambassade européenne à la Grande-Bretagne là où la diplomatie britannique est forte, à la France là où la diplomatie française prédomine, etc. On doit aussi songer à panacher les corps diplomatiques notamment de façon à impliquer les pays européens de tradition diplomatique moindre.
  • Réduire drastiquement la dépendance énergétique qui est bien sûr un fardeau économique et environnemental croissant mais qui contribue plus insidieusement à décrédibiliser l’Union en mettant ses pratiques de politique étrangère en contradiction avec l’éthique européenne et/ou sa capacité à s’affirmer comme une puissance indépendante (le récent conflit géorgien en donne une illustration patente). Pour parvenir à cette réduction sur un produit – le pétrole – dont le coût de revient reste inférieur à celui de l’eau minérale, l’augmentation très substantielle du niveau de taxation est la piste la plus rationnelle, et en vérité, la plus libérale, privilégiée par les experts. Al Gore a récemment proposé que les Etats-Unis libèrent leur économie du joug pétrolier en dix ans. L’Europe aussi doit relever ce défi.
  • Réinventer un système intelligent de régulation douanière car la dérégulation sauvage des vingt dernières années a entraîné une désertification industrielle de l’Europe, des déséquilibres structuraux graves dans les pays émergents tout en favorisant la dépendance énergétique mondiale. Un système douanier intelligent et concerté – loin de tout protectionnisme agressif – privilégierait une croissance fondée sur la production locale – c’est-à-dire sur l’autosuffisance alimentaire pour les pays émergents et la réindustralisation pour l’Europe. Il est clair que cela limiterait également la dépendance énergétique : l’illustration insensée (mais véridique) de l’industriel danois qui envoie des crevettes à décortiquer au Maroc pour les réimporter au Danemark doit disparaître.
  • Favoriser une politique keynésienne de relance au niveau paneuropéen et particulièrement par le biais de projets transfrontaliers qui rendent visibles les atouts de l’Union. Des projets européens de forte visibilité relanceraient une croissance déficiente tout en restaurant l’image positive (et protectrice) de l’Union. Les questions d’énergie et de transport peuvent constituer les objets naturels de ces politiques transfrontalières. Les forces politiques européennes devraient mettre en place des groupes de travail intereuropéens afférents à ces questions.
  • En finir avec les Elargissements artificiels qui plomberaient et les économies européennes et la capacité de l’Union à affirmer son identité. Il faut remettre sur la table les exigences du Pacte de Stabilité avant que d’envisager un élargissement aux « Balkans occidentaux », il faut avec courage mettre un terme clair à l’illusion turque et au-delà traiter chaque demande avec discernement en considérant prioritairement les opportunités et les menaces que ces demandes peuvent représenter pour l’Union et pour ses citoyens.
  • Lancer une politique nataliste paneuropéenne car il n’est pas de croissance et de leadership sans une population jeune et dynamique. Là où la France et l’Irlande tirent plus ou moins leur épingle du jeu, nos partenaires vont prochainement être confrontés à une grave récession de leur population. Il est hautement stratégique que l’Union européenne pallie les insuffisances des Etats membres en mettant en place une stratégie et un financement destinés à faciliter la prise en charges des nourrissons et des jeunes enfants, notamment pour les mères actives (crèches, législation paneuropéenne sur le temps choisi, etc..). Il s’agit d’un énorme chantier qui demande à être réfléchi mais qui pourrait très certainement s’insérer dans la politique de relance préconisée.


Commentaires